Translate

mardi 1 mai 2018

Se reconstruire

Octobre Rose - Montpellier rue de la Loge

Septembre 2017

   Et voilà ! Aujourd'hui je suis à un an post-chimio, un an post-tumorectomie, neuf mois post-radiothérapie et quelques mois « post-digestion » du Crabe. Les maux s'éloignent et les souvenirs douloureux s’estompent. 
C'est la fin de l'été, retour à Montpellier. Je suis épuisée après cette saison estivale en Lozère mais fière de moi car j'ai réussi, j'ai tenu le coup malgré un bras faible, la fatigue, le rythme intense, la foule et les journées à rallonges.

   Même s’il n'est plus ce qu'il était, même si je ne le reconnais pas totalement, j'ai la sensation de me réapproprier mon corps, de l'entendre et de le sentir à nouveau. Cet effet d'anesthésie, d'engourdissement protecteur dans lequel la maladie et surtout les traitements ont plongé chacun de mes membres s'en va peu à peu. Je reprends le contrôle. Le contrôle de mon enveloppe charnelle mais aussi le contrôle de ma vie, de la possibilité de faire des choix.
Partir, m'éloigner de ce que la maladie avait fait de mon quotidien a été une vraie bouffée d'oxygène ! Même si ce n'était pas le bout du monde. Le travail saisonnier et la vie en communauté m'ont également permis de me réinsérer socialement, faire des rencontres, refaire partie du monde des bien portants et plus seulement de celui des malades et surtout d'y prendre plaisir.
Une pierre après l'autre, je me reconstruis. Des idées, des envies, des projets... la suite de ma vie se dessine enfin. 

   Septembre. Dans quelques jours, j'entre à l'hôpital pour une ultime opération. Reconstruction et symétrisation bilatérale de la poitrine. 
Cette fois-ci je n'ai plus peur – sauf de l'anesthésie qui n'est toujours pas ma tasse de thé – car cette dernière intervention sonne la fin. 
Le choix de reconstruire ma poitrine est essentiellement esthétique car je ne l'accepte pas telle qu'elle est aujourd'hui. Certaines le peuvent et je les admire car j'en suis incapable. Même si cela signifie repasser encore une fois sous les bistouris du chirurgien, cette opération est également une manière pour moi de tourner la page, d'achever ce chapitre de ma vie et de passer à autre chose. J'ai besoin de terminer ce qui a été commencé. 
J'ai bien conscience que je ne retrouverai pas la poitrine de mes plus jeunes années - ils ne font pas non plus de miracles – et que je vais du coup également balafrer mon sein gauche mais mon choix est fait.



  Jour de l'opération. Quelques heures avant de repasser entre les mains d'argents d'Edward, il passe me voir dans ma chambre pour prendre les dernières mesures et marquer ma poitrine au feutre. 
J'ai l'impression d'être avec un styliste mais qui me dessinerait un bustier à même la peau ! Il est très précis c'est rassurant. 
Je suis confiante, il a assuré jusqu'ici ! Il a trouvé la panne, il m'a réparé, maintenant ce n'est plus que de la carrosserie. 

   Charlotte sur la tête, blouse et chaussons de papier, aujourd'hui c'est sur mes deux jambes que je me rends jusqu'à la salle d'opération. Je m'allonge, on m'installe, on me branche, on échange quelques mots, mes yeux se ferment et je m'en vais...
Mon réveil de l'anesthésie me paraît encore plus difficile que les fois précédentes... J'ai vraiment du mal à garder les yeux ouverts. Je pose les mains sur mes seins emballés de bandage, j'ai l'impression d'avoir été en partie momifié. J'ai également un tuyau planté sous la poitrine – Argf -ils m'ont posé un drain lymphatique. 
A peine le temps d'émerger qu'il est temps de rentrer à la maison, mon drain sous le bras... les joies de l'ambulatoire. 

   Les premiers jours sont un peu douloureux. J'oublie en permanence le drain, ce qui fait que soit je m'assois sur le tuyau, soit j'oublie de le prendre avec moi en me déplaçant et je suis rappelée à l'ordre par une vilaine douleur.
Heureusement après trois jours, je suis libérée de ce boulet, les pansements et le quotidien deviennent plus confortables. 
Cette fois, pour éviter les mêmes incidents que l'année passée, je fais appel à des infirmières pour venir changer mes pansements tous les deux jours.
C'est aussi plus rassurant, avoir un œil expert sur les plaies qui recouvrent toute ma poitrine, je ressemble un peu à la fiancée de la créature de Frankenstein. 
Dans un premier temps la cicatrisation se passe très bien, je prends même la liberté de m'envoler quelques jours en Bretagne. 

   Mais à mon retour, les choses se compliquent... 
De jours en jours, les points de sutures lâchent les uns après les autres comme les boutons pressions d'une chemise ! Je passe plusieurs semaines sous antibio et à faire des va-et-vient entre chez moi et l'hôpital. Rien à faire. 
Le chirurgien décide donc de m'opérer à nouveau, en local, pour remplacer tous les fils résorbables par des fils neutres. Une vraie partie de plaisir qui me vaudra un malaise vagal sur la table d'opération mais aussi quelques rires avec lui.
Malheureusement, cela ne fonctionne pas non plus. Mon corps continue de rejeter les points. Je suis fatiguée, le moral à zéro et j'aimerais comprendre...
Finalement, il retirera tous les fils et les remplacera par des strips. 
Miracle. En quelques jours la peau se referme, je cicatrise enfin !

Le petit Travers - Carnon

   Je n'avais pas du tout imaginé avoir des complications - mon chirurgien non plus d'ailleurs -pour cette dernière opération alors que jusqu'ici je n'avais jamais rejeté les fils et toujours cicatrisé très vite ! 
Cette période a été difficile à vivre, je n'en voyais pas la fin. 
Mais je ne regrette toujours pas d'avoir fait cette reconstruction. Ma poitrine et mon joli décolleté ont repris formes. Certes les cicatrices ne sont pas « jolies », si on peut parfois les caractériser ainsi, et cela prendra plus de temps avant qu'elles s'estompent mais elles sont aussi les traces et le souvenir de mon combat pour la vie. 
La maladie nous détruit, les médecins nous réparent mais il faut encore se reconstruire. Comme chaque chose, cela prend du temps. Ce n'est pas chose facile, le cancer est loin d'être une simple parenthèse dans notre vie qu'il suffit de refermer. On a aussi parfois besoin d'aide. Cette aide je l'ai trouvée. 
Je ne sais pas encore si aujourd'hui je suis entière, mais j'ai déjà posé pas mal de pierres, je sens et je sais que j'avance.
Il y a eu des hauts, il y a eu des bas et il y en aura encore mais je crois que je touche du bout des doigts la résilience. 
J'ai appris à voir autrement. Je m'efforce de prendre les choses comme elles viennent et à accepter que ce qui ne se fait pas, ne devait pas se faire. 
J'essaye d'être plus bienveillante avec moi-même et avec mon corps. Petit à petit je change certaines habitudes, même si les mauvaises continuent de temps à autre de pointer le bout de leur nez. 

   Aujourd'hui, je me sens plus en accord avec la personne que je deviens. J'accepte ce que la maladie a fait de moi. Je vois aussi les forces et les qualités qu'elle m'a apportées. Je ne dis pas que j'accepte d'avoir eu un cancer, mais c'est là, c'est un fait que je ne peux pas changer. Alors même si la maladie m'a abîmée, je suis consciente de ce que cette épreuve m'a donné et maintenant je veux faire quelque chose de tout cela. Tendre la main, donner un peu plus de sens à mon existence, aimer, aider, écrire, dénoncer, créer, laisser une trace, partager, etc. 

   On verra bien. 


Nekfeu - On verra

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

N'hésitez pas à me laisser un commentaire !