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vendredi 3 mars 2017

Entre deux rounds...

“Mother Stands for Comfort”
© Simon A. Kjær


Mardi 8 Mars 2016

   Entre deux rounds je n'ai pas le temps de m'ennuyer. Hormis les quelques jours post-chimio, où les heures, les minutes et les secondes me paraissent interminables, où je ne fais plus qu'un avec mon canapé tout en mangeant un nombre incalculable de films et de séries en tout genre pour oublier la douleur... - j'ai même entrepris de reprendre tous les X-files depuis la toute première saison ! - quand les effets secondaires s'estompent, je re-vis !
Je ne suis plus capable de faire des journées non-stop, à mille à l'heure comme avant, comme au boulot, mais j'apprends à m'organiser, à partitionner.
D'ailleurs, je ne reprendrai pas le boulot. Pas pour l'instant. À l'annonce de la maladie, c'était mon objectif, me replonger dans le boulot, le plus vite possible, vivre comme avant entre deux chimios, mais plus le temps passe et moins je m'en sens la force. Je crois que j'ai plutôt besoin de me concentrer sur moi, ma santé, ma bataille et de mettre de côté les soucis et le stress professionnels, dans lesquels j'excelle !
Mais contrairement aux inquiétudes de mes médecins ou mes proches, je ne m'ennuie pas.

   D'abord il y a le sport, deux matinées par semaine. Évidemment, ça ne me réjouit jamais, de quitter les bras de Morphée, de retourner à l'hôpital entre deux rounds, de traverser les couloirs de la boîte à chimios, et d'avoir à coup sûr la nausée avant d'atteindre la petite porte de la salle de sport de MovimientoMais une fois arrivée là-bas, c'est une petite bulle d'oxygène. On n'est plus à l'hôpital. Séance de sport privée à trois ou quatre, et Jean-François le kiné, prend soin de nous. Notre rituel, avant de se lancer à grandes enjambées sur le vélo ou le tapis de courses, consiste à glisser son bras puis son doigt dans l'oxymètre, histoire de savoir à quelle vitesse notre cœur bat la chamade. Le mien l'emporte haut la main à chaque fois !
Une fois sur mon vélo c'est parti pour trente minutes de pédalage intensif, les yeux rivés un coup sur le jardin, un coup sur le compteur ! C'est dur, je n'ai jamais été une grande sportive, j'ai toujours préféré les sports doux comme la danse et la piscine mais je sens que mon corps et ma tête en ont besoin. J'ai cette sensation qu'en donnant tout ce que j'ai, le poison infiltré dans tout mon corps sera expulsé dans chaque gouttelette de transpiration que j'aurai produite !
Quand je sors de là, j'ai les gambettes qui tremblent, parfois des vertiges ou des nausées mais je me sens tellement mieux !

   Ensuite je continue la sophrologie, une fois par semaine ou une fois tous les quinze jours, je m'y accroche, j'apprends peu à peu à mieux contrôler ma respiration et surtout à lâcher prise. J'arrive parfois à m'évader vers des sensations agréables et de bien-être, la chaleur du soleil, de mes pieds dans le sable chaud, le bruit des vagues, ou du vent dans les arbres, l'odeur des fleurs au printemps...l'espace d'un instant j'oublie qui je suis et ce que je suis. À d'autres moments les séances sont plus difficiles, je me sens noyée dans un flot de noirceur, d'angoisse et de froid. J'essaye de m'en échapper pour retrouver les sensations agréables des fois précédentes mais elles me paraissent parfois si loin, inatteignables… Mais malgré ça, je continue, je sais qu'elles sont bénéfiques, que ce soit pour mieux digérer la maladie, comme mieux digérer certains évènements du passé qui parfois refont surface.

Les pieds dans l'eau

   J'ai également commencé à voir une psychologue. J'en ressors toujours remuée mais j'ai du mal à me livrer, comme à mon habitude. Je parle plus des autres, de mon boulot, que de ce que je vis ou ressens actuellement. Il est peut-être trop tôt. Je ne sais pas encore vraiment quoi en dire. Je vis les choses comme elles viennent et je préfère utiliser ma plume pour essayer de mettre des mots sur ce que je ressens plutôt que de verbaliser. Je nous laisse encore une chance, il me faut peut-être un peu de temps pour la laisser m'apprivoiser...

   Et j'ai enfin du temps pour moi, pour faire ce que j'aime. Bricoler, fabriquer, dessiner, coudre, tricoter, décorer, dévorer des livres, me balader, boire le thé et papoter avec les copines, partir en weekend... La liste est longue de tout ce qu'on ne prend plus le temps de faire quand notre vie est rythmée par le travail. Je ne sais pas encore combien de temps je vais vivre, combien de temps je pourrais faire tout ça, alors pour avoir le moins de regrets possible, j'essaye de faire un maximum de choses que j'avais rangé dans le tiroir de la procrastination !

   Pourtant aujourd'hui, je suis angoissée : pas de sport, de sophrologie, de balade ou d'après-midi entre copines. Aujourd'hui je fais une échographie de contrôle. Je l'ai réclamée. Je la fais pour savoir si cette longue bataille vaut le coup. Tous ces traitements me rendent lasse, alors que ce n'est que le début d'une longue année de métamorphose en guerrière. J'ai besoin que les résultats soient positifs pour continuer à avancer et avoir le courage de me battre. Mais si on m'annonçait que la tumeur avait grossi, que les traitements ne faisaient pas effet, si la bataille était déjà perdue d'avance, alors pourquoi continuer...
Le moment est venu, j'enfourche mon bmx, je prends mon élan et je fonce vers ma sentence.
Nouvel examen, nouveau lieu.
Comme à mon habitude je me perds... - j'ai vraiment un sens de l'orientation qui laisse à désirer ! - Je n'ai que rarement vu une salle d'attente aussi classe : chaises transparentes en plexi, petites lampes de designer, sur jolies petites tables basses, par contre toujours les mêmes magazines ! Lieu de rendez-vous de femmes angoissées qui font des mamos, des échos, des contrôles de routine... Moyenne d'âge cinquante ans.

Mon joli BMX
   Mon tour arrive, et c'est parti : nouveau médecin à qui je montre mes seins ! - Je crois que j'ai perdu toute pudeur à ce niveau-là ! -. Après le froid du gel et la sensation désagréable de l'appareil qui roule sur mon sein, quelques questions habituelles - je connais maintenant mon cas par cœur -,un silence qui me paraît interminable ... Le résultat tombe : la tumeur a réduit.Je n'ai pas subi tout ça pour rien !
Ça me redonne un peu de courage pour la suite.
Deux bonnes nouvelles en peu de temps, le chat noir reprend des couleurs !
Ce soir c'est resto-ciné en amoureux pour l'anniversaire de Mathieu, je vais pouvoir lui annoncer la bonne nouvelle.
Je vais « tenter »de me faire jolie, me mettre une belle robe, oublier le temps d'une soirée que je suis malade et être juste une amoureuse.
Je remonte sur mon bmx, mes images sous le bras, et je roule le sourire aux lèvres...



Johnny Cash - Hurt    


6 commentaires:

  1. Depuis hier, j'actualise la page du blog toutes les heures. Bah oui normalement c'est le jeudi les nouveaux billets. D'ailleurs, la notification par mail arrive toujours après que j'ai lu le nouvel article, je les guette trop pour les rater dès leur publication. Alors j'ai sauté dessus ce matin, avec, comme toujours, des sentiments très partagés : une forme d'excitation à lire la beauté de tes mots, vifs, acérés, mais aussi drôles...et puis l'estomac serré, par le récit de tes douleurs, tes angoisses, l'injustice de la situation. Mais, toujours, une admiration sans borne pour ta détermination, ton courage et ta joie de vivre. Je t'embrasse fort fort fort. Cec.

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    1. Merci ma Cec, je sais que tu es l'une de mes fidèles lectrices ! Et non, malheureusement, je n'arrive pas toujours à publier le jeudi, ça me prend beaucoup de temps, de mise au propre, réécriture, mise en page, correction etc. Et il y a les obligations qui font que... mais je me tiens à un billet par semaine pour le moment ! Et puis ça donne un peu de suspens au récit ! ;-) Je t'embrasse fort aussi ! <3

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  2. Contente de ces résultats ! Au plaisir de te lire :) Méli

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  3. Toujours émouvant... Le temps d'une lecture, on se retrouve plongée dans ton univers, même si on ne peut pas réellement imaginer, ou plutôt se rendre compte ce qu'on peut ressentir quand on ne l'a pas vécu. Mais avec tes textes, on en a une idée...
    En tout cas une chose est sûre, tu devrais penser à continuer l'écriture.
    Grosses bises Lisa

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    1. J'aimerai ! On verra comment l'avenir se goupille ! Merci Domi, bises

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