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jeudi 6 juillet 2017

Et après ?



Anniversaire de ma "Tu-meurs" @Joey Gannon 


6 Janvier 2017

Un an. Cela fait un an, jour pour jour, que l'on m'a annoncé que ce foutu crabe se logeait dans mon sein. Un an et je suis encore vivante. Enfin je crois. Je suis sur les rotules. Epuisée, essoufflée, abandonnée. 
Je suis libérée des traitements mais je me sens complètement larguée.
Plus de traitements, plus d'hôpital, plus de médecins, plus d'infirmières. Hormis deux séances de kiné par semaine, c'est le désert médical autour de moi. Je n'ai plus l'habitude. 
Je suis relâchée dans la nature, comme un animal sauvage, gardé en captivité, durant un an. Je ne sais pas où je dois aller car plus rien ne ressemble à mon ancienne vie. Je ne sais plus qui je suis ni où je suis. 
Le protocole de traitements est terminé mais après ? 

Et bien après... c'est un second combat qui commence. J'entends parler de cette période que l'on nomme « l'après cancer » mais je ne suis pas d'accord. Le Cancer est toujours là, enraciné au plus profond de nos entrailles. Je l'appellerai plutôt « l'après-traitements » ou « l'après... » tout simplement. 
Ce moment où le bref soulagement d'avoir enfin terminé le protocole se transforme en angoisse. J'ai tellement vécu ce combat au jour le jour que je n'ai jamais songé à ce qui se passerait après. 

Cela commence par l'incertitude. 
Suis-je guérie ? Suis-je encore malade ? Suis-je en rémission ? Que se passe-t-il dans mon corps ? Ce foutu cancer est-il encore en moi ? Et si plus aucun médecin n'est là pour me surveiller, que va-t-il m'arriver ? 
Patience. On ne prononcera jamais le mot guérison quand il s'agit du cancer. Il est sournois. Il peut disparaître mais tout aussi bien réapparaître, 3 mois, 1 an, 5 ans ou 10 ans après... D'où la mise en place d'une surveillance et d'examens de contrôle réguliers. 
Alors si on ne parle pas de guérison, on a choisi un autre mot, qui ne veut pas dire grand chose. Rémission : disparition des symptômes cliniques. Pourtant sorti de la bouche du médecin, ce mot prend de la valeur, presque autant que s’il disait « guérison » car c'est ce que tout patient a envie d'entendre...
Seulement, à la sortie des traitements, on ne peut pas encore vous parler de rémission. Il est bien trop tôt. Il faudra attendre quelques mois, les prochains examens. 
Alors en attendant, je suis quoi ? Malade, pas malade ? 

La louve qui veille 
   Je me sens toujours malade. Je ne ressens pas de différences. Et je me traîne encore quelques effets secondaires. Ce n'est pas comme une grippe ! Quand la fièvre et les courbatures disparaissent vous pouvez enfin vous dire, c'est bon je vais bien. 
Aujourd'hui je ne sais pas comment je vais mais je ne me sens pas bien.

   Et puis il y a le regard des autres sur cet après. 
« - Ça y est tout va bien, tu as l'air en forme. 
- Tu as bonne mine ! 
- Tu es guérie ? 
- Tu vas faire quoi maintenant ? Tu reprends le boulot ? 
- Tu as d'autres projets ? 
- Waouh tu cours ! Ça te dit une rando ? … »
Je caricature un peu mais pas tant que ça. 
Je crois que pour les « bien-portants », lorsqu'un malade a terminé ses traitements soit il meurt soit il vit. Et donc s’il vit, alors tout va bien, il est guéri. Mais ce n'est pas si simple. On ne sait pas, je ne sais pas, les médecins ne savent pas... pas encore.

   La repousse des cheveux, des cils, des sourcils et l’arrêt des médicaments me rendent mon visage, peu à peu.
Lorsque la maladie n'est plus visible, lisible sur le visage, les autres l'oublient tout aussi vite. 
Je le comprends. Moi aussi j'aimerais pouvoir oublier aussi facilement. 
Et puis si j'arrivais à l'exprimer, peut-être qu'ils comprendraient mieux...
J'ai l'air d'aller bien, mais ce n'est pas le cas. Oui je cours, je cours pour mettre de la distance entre le cancer et moi. Je me dépasse, pour me sentir encore vivante, mais ce n'est pas facile pour autant. Je ne suis pas prête à reprendre le boulot, ou bien même ce qu'était ma vie d'avant. Je culpabilise presque de me sentir mal alors que le monde me dit d'aller bien...
Je ne fais pas de dépression, j'ai juste besoin de temps et d'espace pour accepter : la maladie, ses séquelles, ses conséquences et renoncer à certaines choses, faire un deuil. Je dois recalculer la trajectoire de ma vie. Retrouver l'envie, le goût des choses et pour le moment je ne peux pas. Beaucoup trop de choses à digérer avant de pouvoir ne serait-ce qu'envisager de me reconstruire. 

   Aujourd'hui, encore plus qu'hier, la bienveillance et la compréhension des autres me sont nécessaires. Je me retrouve seule alors que j'ai besoin d'être épaulée. J'ai donné tout ce que j'avais durant 12 longs mois, j'ai besoin des autres, de leur soutien, pour continuer à avancer. 

Voici "Tu-meurs" en couleur  le 6 janvier 2016

   L'après c'est aussi le moment où on réalise ce qu'il nous est arrivé. - M**** j'ai un cancer, je viens de me taper 7 mois de chimiothérapie, trois opérations, deux mois et demi de radiothérapie ! -.J'ai l'impression d'enfin ouvrir les yeux, de me réveiller après un an d'anesthésie. Comme si le 6 janvier 2016, je m'étais endormie sur la table d'opération et que durant 365 jours tout ce que j'ai vécu n'était qu'un interminable cauchemar...
Mais lorsque je me vois dans le miroir, mes cheveux qui repoussent, mes cicatrices sur le sein, l'épaule et sous le bras, mon regard vide et mon corps meurtri, je prends conscience que cet interminable cauchemar est devenu ma réalité. 
Ma colère s'est éveillée. Pas une seule fois je n'ai éprouvé ce sentiment durant cette longue année. J'ai trouvé la situation injuste, oui, mais j'ai accepté la maladie et subi les conséquences, sans broncher. 
Aujourd'hui, je suis en colère et je n'ai plus la force d’accepter. Ce foutu crabe me met en rogne, il m'a pris ce qu'était ma vie et a envoyé balader toutes mes croyances et mes certitudes.
Puis, certaines choses que j'ai pu voir durant cette année me contrarient également. Des dysfonctionnements du système, des inégalités, un manque d'aide et de clarté pour certains patients.
Il y a encore beaucoup à faire et je sens que j'ai beaucoup de choses à dire. 
Alors, avec le peu de force qu'il me reste, je prends ma plume et je raconte. 
Tout au long du combat, dès les premières semaines, j'ai écrit. J'ai écrit sans filtre, ce que je vivais, ce que je ressentais, pour moi, pour me souvenir de tout. Mon chir. a fini par me convaincre de publier... Aujourd'hui, un an jour pour jour après que le diagnostic soit tombé, j'ai décidé de partager toute mon histoire avec vous. Et je continuerai jusqu'à ne plus rien avoir à dire.

   Je sais que ça ira, il me faut juste le temps de digérer ce Fucking Big C... 



Radiohead - Fake Plastic Tree



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